Par Claire DUMONT, 

 

Aux termes de la loi n°2012-346 du 12 mars 2012, s’appliquant immédiatement aux procédures en cours, le législateur a souhaité mettre fin au pillage des entreprises en difficultés.
La loi nouvelle a notamment pour ambition de faire obstacle à ce que des tiers prélèvent les actifs de l’entreprise défaillante, organisent leur protection face au risque de voir leur responsabilité engagée, ou privent cette entreprise de toute possibilité de répondre à ses obligations, notamment environnementales urgentes.
Il s’agit assurément d’une loi de circonstances qui se fait l’écho du contexte actuel largement évoqué lors des travaux parlementaires, les affaires Sodimédical et Pétroplus ayant été particulièrement au devant de la scène.
La loi du 12 mars 2012 s’inscrit dans le contexte suivant.
La filiale française du Groupe Pétroplus, placée en redressement judiciaire le 24 janvier 2012, a vu ses comptes vidés de la totalité de sa trésorerie par les banques de sa société mère quelques heures avant le dépôt de bilan – le Groupe Pétroplus ne semblant pour autant pas prêt à assumer sa responsabilité sociale à l’égard des 550 personnes employées par la filiale française
C’est pour faire face efficacement aux comportements fautifs de certaines multinationales qui détournent les actifs d’une entreprise défaillante que la loi apporte diverses modifications au Code du commerce.
1. Des mesures conservatoires utiles à l’action en extension pour confusion du patrimoine, fictivité ou en réunion de l’actif pour l’EIRL.
Un quatrième aliéna est ajouté à l’article L 621-2 du Code de commerce prévoyant que le Président du Tribunal peut ordonner toute mesure conservatoire utile à l’égard des biens du défendeur à l’action en extension pour confusion des patrimoines ou fictivité ou, s’agissant d’un EIRL, à une action en réunion de l’actif.
Ces mesures conservatoires ont vocation à s‘appliquer tant dans le cadre d’une sauvegarde que dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, l’article L 621-2, applicable en matière de sauvegarde, s’applique par renvoi dans ces deux dernières procédures ; L 631-8 alinéa 7 pour le redressement et L 641-1 I pour la liquidation.
De telles mesures peuvent être ordonnées à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du Ministère Public, mais peuvent également être ordonnées d’office.
2. Des mesures conservatoires à l’égard des biens du dirigeant de droit ou de fait dans le cadre d’un redressement judiciaire.
L’article L 631-10-1 du Code de Commerce prévoit lui aussi pour le Président du Tribunal la possibilité d’ordonner des mesures conservatoires.
Mais sont visés dans cet article les biens du dirigeant, de droit ou de fait à l’encontre desquels l’administrateur ou le mandataire judiciaire introduit une action en responsabilité fondée sur une faute ayant contribué à la cessation des paiements.
Il convient d’apporter deux précisions.
D’une part, cette action en responsabilité, dont le fondement sera sans doute l’article 1382 du Code civil, se distingue de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif qui, depuis l’ordonnance du 18 décembre 2008, est réservée à la liquidation judiciaire.
Pour autant, on peut penser que la jurisprudence récente relative à l’action pour insuffisance d’actif, ne faisant pas application de l’article 67 de la loi du 9 juillet 1991 (Cass. Com., 31 mai 2011, n° 10-18.472), sera la même que pour l’action en responsabilité visée par l’article L 631-10-1 du Code de Commerce.
Selon l’article 67 de la loi du 9 juillet 1991, le prononcé de mesures conservatoires suppose que le créancier dispose d’une créance paraissant fondée dans son principe et justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.
Cela implique un prononcé plus simple de telles mesures qui se présentent dès lors comme des actes préparatoires à l’action en responsabilité ou désormais à l’action en confusion.
Or, si, dans le cadre de la liquidation judiciaire, l’insuffisance d’actif est presque certaine, dans le cadre d’un redressement judiciaire, et surtout d’une sauvegarde, cela reste à démontrer.
D’autre part, cette action en responsabilité se distingue de l’action en extension pour confusion des patrimoines, qui n’a rien d’une action en responsabilité, mais dont l’objet est de faire coïncider la réalité juridique avec la réalité économique.
Il existe plusieurs difficultés quant à l’application de l’article L 631-10-1 du Code de commerce :
(i) Pour que les mesures conservatoires aient l’effet escompté, il s’agira d’introduire rapidement les actions en confusion de patrimoine ou de réunion d’actif.
(ii) Cet article semble mal adapté aux procédures de sauvegarde dès lors que permettre d’ordonner des mesures conservatoires sur les biens de l’entre cible risque de détourner le débiteur de cette procédure.
(iii) La CJUE considère, depuis peu, que l’action en confusion de patrimoines n’entre pas dans le champ d’application du règlement européen (CJUE, 15 décembre 2011, aff. C-191/10). Si l’entreprise cible est située hors Union, il faudra obtenir l’exequatur. Or, ce sont précisément le plus souvent des sociétés mères situées à l’étrangers qui sont visées.
(iv) Il faudra démontrer, pour que soient ordonnées des mesures conservatoires, l’existence d’une faute mais il faut également identifier les dirigeants de fait, chose parfois peu aisée.
3. L’information du CE, ou à défaut des délégués du personnel.
Le nouvel article L 631-10-2 du Code de commerce prévoit l’information des représentants du CE ou à défaut, les délégués du personnel, par l’administrateur ou, à défaut, le mandataire judiciaire, concernant les modalités de mise en œuvre des mesures conservatoires prises en application de l’article L 621-2 du Code de commerce.
Deux précisions :
D’une part, seul l’article L 621-2 du Code de commerce est visé. Ainsi, n’entrent pas a priori dans le champ d’application de cet article les mesures conservatoires ordonnées à l’égard des dirigeants en application de l’article L 631-10-1 de ce code.
D’autre part, ce texte étant placé dans la partie redressement judiciaire, on peut penser qu’il ne s’applique pas à la sauvegarde.
4. Le maintien des mesures conservatoires prises en application de l’article L 631-10-1 en liquidation judiciaire.
L’article L 651-4 du Code de commerce a été complété par la loi du 12 mars 2012 et prévoit désormais le maintien des mesures conservatoires ordonnées à l’égard des dirigeants en application de l’article L 631-10-1 du même code.
5. La cession de biens sur lesquels portent des mesures conservatoires.
L’article L 663-1-1 est ajouté au Code de Commerce par la loi pour permettre la cession des biens faisant l’objet des mesures conservatoires précitées, c’est-à-dire :
(i) dans le cadre d’une action en confusion de patrimoines ou en réunion d’actif, (ii) dans le cadre d’une action en responsabilité à l’encontre du dirigeant en redressement judiciaire de l’article L 631-10-1 du code, (iii) dans le cadre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif .
Il existe deux éléments qui semblent encadrer cette cession de biens faisant l’objet de mesures conservatoires :
– Tous les biens ne sont pas concernés.
En effet, seuls les biens dont la conservation ou la détention génère des frais ou qui sont susceptibles de dépérissement peuvent faire l’objet d’une cession.
– Les sommes provenant de cette cession sont versées à la Caisse des dépôts et consignation.
Elles sont ainsi, en application de l’article L. 662-1 du Code de commerce, insaisissables.
Mais le juge-commissaire peut autoriser, en application de l’alinéa 2 de l’article L 631-1-1 du Code de commerce, l’affectation des sommes au paiement des frais engagés par l’administrateur, le mandataire judiciaire ou le liquidateur pour les besoins de la gestion des affaires du propriétaire de biens.
Tel est le cas y compris pour assurer le respect des obligations sociales et environnementales résultant de la propriété de ces biens, si les fonds disponibles du débiteur n’y suffisent pas.
Cette formule étant large, elle permettra une utilisation assez aisée de ces fonds.
Loi n°2012-346 du 12 mars 2012