Par Claire DUMONT, 

 

Aux termes de l’article 6 de la loi LCEN, les hébergeurs ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée, du fait des activités ou des informations stockées, à la demande d’un destinataire de ces services, que dans deux cas précis :
– s’ils n’ont pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère,
– si, dès le moment où ils en ont eu cette connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.
L’hébergeur se distingue alors de l’éditeur, le premier se contentant de stocker des informations, en décidant de ne pas les mettre à la disposition du public, alors que le deuxième peut décider de les diffuser.
Le Tribunal de Grande Instance de Paris, suivant jugement du 15 décembre 2011, s’est prononcé sur la question de savoir si le site internet comparateur de produits a eu connaissance ou a eu un pouvoir de détermination du contenu mis en ligne sur son site Internet.
Dans cette affaire, une société française, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de chaussures pour homme, a constaté que la marque, dont elle est titulaire, était utilisée, sans son autorisation, sur un site internet comparateur de produits.
La saisie conjointe de mots-clés et d’une marque – ici une marque de chaussures – au sein d’un moteur de recherche faisait apparaître une proposition d’achat en faveur d’une autre marque.
Le site internet en question pouvait-il se prévaloir du statut d’hébergeur quant aux fiches-produits se trouvant sur son site Internet.
L’enjeu de cette question était important dès lors que le statut d’hébergeur permet à un prestataire de services de bénéficier du régime privilégié de responsabilité, prévu à l’article 6 I 2° de la loi n°2004-575 dite Loi LCEN sur la confiance dans l’économie numérique.
Dans son jugement, le Tribunal de Grande Instance de Paris souligne que la distinction entre hébergeur et éditeur « ne repose pas sur l’absence d’exploitation commerciale des contenus mais sur la maîtrise que le prestataire de service peut exercer sur ces derniers ».
En l’espèce, dès lors que le TGI définit l’éditeur comme étant « la personne qui détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu’elle a créé ou dont elle a la charge », il s’agissait de savoir si la société exploitant le site internet, dont l’activité était litigieuse, avait la maîtrise de l’information se trouvant sur son site.
Plusieurs éléments ont été soulevés par le TGI de Paris pour déterminer le statut d’hébergeur ou d’éditeur de la société en question.
1 / D’une part, il a été relevé que la société avait la possibilité d’exclure certains mots-clés de son moteur de recherche, ce qui « implique nécessairement une démarche active » selon le TGI.
Pour autant, il est rappelé que cette constatation ne démontre pas à elle seule l’existence d’une connaissance et d’un contrôle a priori des contenus de référence à partir de ce mot-clé.
2 / D’autre part, a été mis en avant le fait que la société opérait une sélection préalable sur les informations fournies par les partenaires marchands dans les fiches-produits avant de les reproduire dans les annonces.
Le Tribunal en a déduit, tout en reconnaissant le caractère déclaratif des annonces, que la société en avait le contrôle et qu’elle opérait un tri dans le contenu fourni par les annonceurs, dès lors qu’elle ne mettait pas l’intégralité en ligne.
Le TGI de Paris considère que la société ne se contente pas d’effectuer des recherches et des extractions de nature purement techniques, sur la base des fiches-produits établis par les annonceurs, mais qu’elle opère une réelle sélection des informations qui vont apparaître sur le site.
3 / Enfin, au regard des conditions générales de services régissant les rapports entre les annonceurs et la société, le TGI de Paris estime que la société avait le droit de sélectionner, modifier et adapter le contenu de l’annonceur.
Il en est déduit que la société ne se livrait pas à une simple mise en ligne des informations, puisqu’elle se réservait le pouvoir d’intervenir sur celle-ci par :
– une prise de connaissance et un pouvoir de contrôle,
– un rôle actif dans le choix des informations que la société porte à la connaissance des internautes.
Le TGI de Paris considère dans ces conditions que la société en question n’intervenait pas en qualité d’hébergeur mais en qualité d’éditeur du site internet et qu’elle devait en conséquence être soumise au régime de doit commun de la responsabilité et non au du régime spécial de responsabilité propre à l’hébergeur, prévu par l’article 6 de la loi LCEN.
TGI PARIS – 3ème Chambre 4ème Section – 15 décembre 2011 – RG : 10-01515