Si les associés d’une société jouissent d’une liberté dans l’exercice de leur droit de vote, celle-ci connait des limites en cas d’abus comme l’a décidé dans un arrêt du 19 mai 2021, la Cour de cassation.
L’abus de droit de vote a été élaboré par la jurisprudence qui a notamment développé et posé les critères (objectif et subjectif) de l’abus de majorité.
L’abus de majorité a été consacré par la Chambre commerciale dans un arrêt du 18 avril 1961.
Il désigne la décision prise par les associés majoritaires qui est contraire à l’intérêt social et qui est prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité.
En l’espèce, les statuts d’une société civile professionnelle comprenant quatre associés prévoyaient une répartition égalitaire des bénéfices nets entre des chirurgiens-dentistes.
Néanmoins, une nouvelle délibération de l’Assemblée Générale Extraordinaire prise à la majorité des associés décidait que la répartition des bénéfices ne serait plus égalitaire mais qu’elle serait désormais proportionnelle à la part de bénéfices nets que le praticien aura réalisé dans l’année.
L’associé minoritaire qui avait voté contre cette délibération assigne la société et les associés en invoquant l’abus de majorité, celui-ci ayant souffert d’une baisse significative de sa rémunération.
La Cour d’appel fait droit à sa demande.
La société et les associés forment un pourvoi en cassation.
La Haute juridiction rejette le pourvoi au visa de l’art 1240 du Code civil considérant que l’abus de majorité était bien caractérisé.
Celle-ci juge conformément aux juges du fonds que « la répartition égalitaire des bénéfices était sans aucun doute un élément déterminant du contrat de société depuis la constitution de la société ».
De plus, cette délibération s’avérait néfaste à l’associé minoritaire et coïncidait avec le fait qu’il subissait un certain acharnement ainsi qu’une marginalisation au sein de la société.
En outre, cette délibération l’impactait financièrement alors qu’elle favorisait l’intérêt financier des associés majoritaires.
La Première chambre civile considère enfin que l’intérêt social de la société aurait été atteint dans la mesure où la volonté d’origine des associés était de diversifier et de développer la complémentarité de leurs spécialités.
Il faut noter que les décisions retenant l’abus de majorité sont rendues le plus souvent en matière de répartition des bénéfices ou de rémunération des dirigeants.
La Cour de cassation l’admet en l’espèce en matière d’abandon de répartition égalitaire des bénéfices, ce qui entraine la nullité de la délibération litigieuse.
Cela n’aurait vraisemblablement pas été le cas si l’associé minoritaire avait bénéficié de cette répartition proportionnelle des bénéfices.
Cette solution semble traduire une volonté de la Cour de cassation de protéger l’associé minoritaire de décisions contraires à ses intérêts.
Cette solution retenant l’abus de majorité fondée sur l’abandon d’une répartition égalitaire pourra être transposée aux sociétés commerciales ainsi qu’aux sociétés d’exercice libéral.
Cass. 1ère civ., 19 mai 2021, n° 18-18.896